Tout le monde se couche le soir, se disant qu’il est déjà tard, demain la journée sera longue, les considérations seront autres, les conspirations consolées.
Ce monde se levant le matin, en regardant par la fenêtre décide que sera la journée. Un peu de rose et de vert tendre, un peu de bleu, dans les bois des cailloux, son chemin de petit poucet, se jouer de l’ogre et pas se perdre.
Moi seul résiste à la lune et la nuit passant, j’abats les heures dans un demi-sommeil, gratte mes bras et veille mes blessures en mode comateux, sans jamais m’assoupir vraiment. Je tourne la page pour un prochain chapitre, encore un petit épisode, un bout d’orgasme machinal, un morceau de télé m’insultant librement jusqu’à ce que je sache ce que je meure d’envie de voir.
Dans la tension d’un thriller haletant, je demeure allongé ne pouvant me résoudre à éteindre et reste dans un mouvement figé : La main que l’ogre porte à sa bouche.
jeudi 28 janvier 2010
vendredi 27 novembre 2009
Je n'chanterais pas
Nous étions en vacances d’été à la Rochelle, l’année de mes onze ans. Je tenais pour la première fois un journal quotidien : « Aujourd’hui, nous avons passé la journée à la plage de Chatelaillon, il faisait très chaud, j’ai réussi à plonger du ponton qui est à plus de 3 mètres, maman a pris un coup de soleil dans le dos ». Nous habitions chez Tonton Georges et Tante Denise, il fallait mettre des patins, le sol de marbre brillait, Tante Denise faisait très bien la cuisine. Il y avait les cousins et cousines, adultes, mariés, professeur ou architecte, grandes maisons neuves des années 70 en dehors de la ville. Les Drapeau (la cousine Marie Thérèse et son mari ), les Renvoiret ( Anne Marie et Jean Christophe ), Bernard et sa femme Josiane. Un clan, les Rochelais disait-on dans notre grande famille (ma mère a eu 12 frères et sœurs, …) Mon oncle Georges, petit homme au teint rouge brique était le patriarche, ancien footballeur, docker - contremaître retraité , sympathique et réac, toujours de bonne humeur, autoritaire comme sa femme Denise, grande femme à forte voix. Nous les Parigots en vacances chez eux, ils nous accueillaient, famille oblige, tout semblait aller bien…
Un soir après manger, nous étions dans la salle de séjour et mon père dit : « Jean Paul aime beaucoup chanter et danser, hein mon chéri ? Tu nous montres comment tu chantes bien… » « Ah ah fit l’oncle Georges, un petit chanteur, comédien, danseur, mais c’est formidable ça mon petit et qu’est ce que tu sais chanter ? Tino Rossi, Jacques Brel ou des choses plus modernes peut-être, Johnny, le twist ou comment qu’ils disent, le rock’n roll ? Ou l’autre Antoine là ( se tournant vers mon père) Non mais tu l’as vu çui-là avec ses cheveux aux épaules et ses chemises à fleurs ? V’la-t-y pas qu’on va avoir des hippys en France, j’te mettrais tout ça au service militaire… »
Alors que cette conversation se déroulait, confusément je pressentais la phrase qui allait suivre, Tonton Georges ne tarda pas à la prononcer d’une voix retentissante qui me figea : « Alors, mon petit, tu nous la chantes maintenant ta chanson et tu danses en même temps, hein d’accord ? Tiens tu pourrais même monter sur la table, on va te faire de la place, allez on enlève la nappe… » J’avais senti le piège se refermer lentement depuis que mon père avait abordé le sujet, maintenant j’y étais, coincé au pied du mur, obligé. Et je n’en avais pas du tout envie de cette petite démonstration, pas du tout, mon corps et mon esprit entiers s’y refusait, totalement. Et je résistais obstinément. La scène dura un bon moment, plusieurs minutes : « Allez, monte. Non ! Fais nous plaisir. Non ! Mais pourquoi ? Parce que, j’ai pas envie ! Mais pourquoi ? Parce que… » Il s’épuisèrent, moi aussi, mais je restais stoïque, arc-bouté, invaincu en même temps que déçu. Pourquoi avais-je tant résisté, refusé ? Moi-même je n’en savais rien.
A un moment, mon oncle se débarrassa, par une pirouette de conversation, du petit importun peu malléable que j’étais. Je m’éclipsais dans la cuisine sombre éclairée seulement par la pleine lune à la fenêtre, pour digérer la honte, l’embarras étouffant qui me laissait hagard, décontenancé, affolé. Je me sentais très mal sans trop comprendre ce qu’il s’était passé. J’avais refusé de faire quelque chose dont j’avais très envie. Sans savoir pourquoi, j’avais reculé devant l’épreuve, renoncé sans accomplir le geste que je brûlais de faire, partager entre le désir de les impressionner et la peur de me tortiller ridiculement debout sur cette table. Je découvris peut-être, ce soir-là, cette ambivalence qui allait me poursuivre ma vie durant.
Perdu dans ces réflexions embryonnaires mais déjà obsédantes, mon regard rencontra le grand couteau à découper qui avait servi pour le rôti du soir, posé sur le bord de l’évier luisant, éclairé par la grosse lune à la fenêtre. Sans réfléchir, comme aveuglé, je m’en emparais et le serrais convulsivement de toutes mes forces d’enfant de onze ans. Je vis ma main crispée déchirée de haut en bas l’air devant moi, assassinant l’espace vide. Je me transportais jusqu’au séjour, bien décidé à voir du sang giclé, se répandre sur le marbre lustré, la nappe et les serviettes blanches, les assiettes de porcelaine aux motifs bleus, les patins de laine et feutre avec de grosses fleurs roses. J’entrais dans la pièce, un rictus sauvage aux lèvres et criais d’une voix de fausset, éraillé par ma propre peur : « Je vais vous tuer !!! »
La réaction bien qu’immédiate ne fut pas celle que j’attendais. Mon oncle et mon père prenant un air comiquement affolé éclatèrent de rire au même moment : « Oh voilà le vengeur chantant » dit Tonton Georges, et tout le monde se mit à rire. Ils m’avaient en même temps, coupé mon effet de surprise terrifiante et mon envie sanguinaire. Je les regardais les bras ballants, riant aussi par réflexe mimétique, comme soulagé, exorcisé de la honte et de la colère qui m’avaient submergée l’instant d’avant.
N’avais-je pas ainsi accompli mon show en réalisant ce numéro bizarre ?
Plus tard dans la nuit, sorti du sommeil par l’envie d’aller aux toilettes, je me faufilais dans la pénombre du couloir, marchant silencieusement, à tâtons, jusqu’à la salle de bains. Me tenant devant la cuvette, je surpris mon reflet dans le miroir faiblement éclairé par une veilleuse, j’étais couvert de sang, de la tête aux pieds. Les yeux à demi-fermés pour ne pas trop me réveiller je retournais me coucher...
Un soir après manger, nous étions dans la salle de séjour et mon père dit : « Jean Paul aime beaucoup chanter et danser, hein mon chéri ? Tu nous montres comment tu chantes bien… » « Ah ah fit l’oncle Georges, un petit chanteur, comédien, danseur, mais c’est formidable ça mon petit et qu’est ce que tu sais chanter ? Tino Rossi, Jacques Brel ou des choses plus modernes peut-être, Johnny, le twist ou comment qu’ils disent, le rock’n roll ? Ou l’autre Antoine là ( se tournant vers mon père) Non mais tu l’as vu çui-là avec ses cheveux aux épaules et ses chemises à fleurs ? V’la-t-y pas qu’on va avoir des hippys en France, j’te mettrais tout ça au service militaire… »
Alors que cette conversation se déroulait, confusément je pressentais la phrase qui allait suivre, Tonton Georges ne tarda pas à la prononcer d’une voix retentissante qui me figea : « Alors, mon petit, tu nous la chantes maintenant ta chanson et tu danses en même temps, hein d’accord ? Tiens tu pourrais même monter sur la table, on va te faire de la place, allez on enlève la nappe… » J’avais senti le piège se refermer lentement depuis que mon père avait abordé le sujet, maintenant j’y étais, coincé au pied du mur, obligé. Et je n’en avais pas du tout envie de cette petite démonstration, pas du tout, mon corps et mon esprit entiers s’y refusait, totalement. Et je résistais obstinément. La scène dura un bon moment, plusieurs minutes : « Allez, monte. Non ! Fais nous plaisir. Non ! Mais pourquoi ? Parce que, j’ai pas envie ! Mais pourquoi ? Parce que… » Il s’épuisèrent, moi aussi, mais je restais stoïque, arc-bouté, invaincu en même temps que déçu. Pourquoi avais-je tant résisté, refusé ? Moi-même je n’en savais rien.
A un moment, mon oncle se débarrassa, par une pirouette de conversation, du petit importun peu malléable que j’étais. Je m’éclipsais dans la cuisine sombre éclairée seulement par la pleine lune à la fenêtre, pour digérer la honte, l’embarras étouffant qui me laissait hagard, décontenancé, affolé. Je me sentais très mal sans trop comprendre ce qu’il s’était passé. J’avais refusé de faire quelque chose dont j’avais très envie. Sans savoir pourquoi, j’avais reculé devant l’épreuve, renoncé sans accomplir le geste que je brûlais de faire, partager entre le désir de les impressionner et la peur de me tortiller ridiculement debout sur cette table. Je découvris peut-être, ce soir-là, cette ambivalence qui allait me poursuivre ma vie durant.
Perdu dans ces réflexions embryonnaires mais déjà obsédantes, mon regard rencontra le grand couteau à découper qui avait servi pour le rôti du soir, posé sur le bord de l’évier luisant, éclairé par la grosse lune à la fenêtre. Sans réfléchir, comme aveuglé, je m’en emparais et le serrais convulsivement de toutes mes forces d’enfant de onze ans. Je vis ma main crispée déchirée de haut en bas l’air devant moi, assassinant l’espace vide. Je me transportais jusqu’au séjour, bien décidé à voir du sang giclé, se répandre sur le marbre lustré, la nappe et les serviettes blanches, les assiettes de porcelaine aux motifs bleus, les patins de laine et feutre avec de grosses fleurs roses. J’entrais dans la pièce, un rictus sauvage aux lèvres et criais d’une voix de fausset, éraillé par ma propre peur : « Je vais vous tuer !!! »
La réaction bien qu’immédiate ne fut pas celle que j’attendais. Mon oncle et mon père prenant un air comiquement affolé éclatèrent de rire au même moment : « Oh voilà le vengeur chantant » dit Tonton Georges, et tout le monde se mit à rire. Ils m’avaient en même temps, coupé mon effet de surprise terrifiante et mon envie sanguinaire. Je les regardais les bras ballants, riant aussi par réflexe mimétique, comme soulagé, exorcisé de la honte et de la colère qui m’avaient submergée l’instant d’avant.
N’avais-je pas ainsi accompli mon show en réalisant ce numéro bizarre ?
Plus tard dans la nuit, sorti du sommeil par l’envie d’aller aux toilettes, je me faufilais dans la pénombre du couloir, marchant silencieusement, à tâtons, jusqu’à la salle de bains. Me tenant devant la cuvette, je surpris mon reflet dans le miroir faiblement éclairé par une veilleuse, j’étais couvert de sang, de la tête aux pieds. Les yeux à demi-fermés pour ne pas trop me réveiller je retournais me coucher...
mercredi 11 novembre 2009
Un secret
C’était l’année de mes 10 ans. J’étais en vacances quelques jours chez mes grands-parents paternels durant les congés de Pâques. Comme tous les ans, à cette époque, mes parents ne savaient pas quoi faire de moi, eux travaillant et moi réfractaire aux colonies de vacances où j’allais déjà deux fois par an, il n’y avait que cette solution. J’allais donc passer une semaine à Périgueux dans la grande maison bourgeoise de mes aïeux, où je resterais enfermer entre le tic-tac de l’horloge, les quelques mots échangés à voix basse entre ma grand-mère et ma tante, les parties de belotte quotidienne avec le vieux M. Lafage, la préparation des repas. Autant d’activités mystérieuses précédées de conciliabules à mi-voix et sujet à de longues préparations. Le rythme triste de ces journées de vieux était régulièrement ponctué de sorties ennuyeuses à pas comptés dans les rues mornes de cette ville provinciale où il ne semblait y avoir que des allées de platanes et des Places de Cathédrale. Pendant ces quelques jours, je me laissais alors endormir, comme figé dans une posture gracieuse d’enfant obéissant et pas trop remuant, distrayant tout en étant discret, m’ennuyant ferme sans trop en avoir l’air, peut-être même sans réellement m’en rendre compte, croyant, peut-être à raison, que c’était l’ordinaire des enfants de mon age en vacances chez Grand-Papa et Grand- Maman.
Je passais le plus clair de mon temps à me faire le plus transparent possible, me laissant aller parfois à quelques cavalcades et vacarmes, mais vite réprimé par des chuts… fermes, je reprenais alors mes errances désoeuvrées dans cette haute maison de ville de trois étages, n’osant pas m’aventurer dans le grand escalier sombre tout envahit d’ombres menaçantes et fantomatiques qui menait au niveaux supérieurs où se trouvait ma chambre. Je faisais alors semblant de jouer à chercher la tortue dans le minuscule jardin, seule activité que l’on m’encourageait vivement à faire : « Va au jardin,mon petit, reviens me dire si tu as vue la tortue…
Une autre personne semblait un peu à part dans cette maison soumis à un matriarcat de fer. C’était mon grand -père qui s’occupait je ne sais trop comment, muni d’une loupe et ruminant, marmonnant, soupirant des mots inintelligibles entre des collections de timbres, des vieilles coupures de presse, d’anciennes cartes postales. De temps en temps il me faisait asseoir près de lui, commentait des cartes postales sans signification pour moi, m’interrogant sur mes connaissances en histoire de France, les grades militaires, diverses choses auxquelles certains adultes essaient d’intéresser les enfants. Ainsi il était le seul à sembler me manifester quelque intérêt. Toujours ses questions en arrivaient à m’interroger sur la mer : Est-ce que je la connaissais ? Est-ce que je l’aimais ? Lui-même rêvait d’être marin lorsqu’il était enfant. Avais-je le même rêve moi aussi ? D’ailleurs, il avait fini par le réaliser. Et les rêves insistait-il, pouvaient se transformer en cauchemars lorsqu’ils se réalisaient. Il me disait cela avec une grande tristesse dans le regard et jamais ne me répondait lorsque je l’interrogeais plus avant.
Après son décès, je découvris par le plus grand des hasards qu’il avait fait naufrage durant sa courte carrière maritime, et qu’après avoir dérivés pendant des jours en pleine mer, lui et quelques rescapés de l’équipage s’étaient livrés au cannibalisme.
Cette expérience qui le hantait était restée secrète et très peu de gens en avait eu vent. Ma grand-mère était au courant et durant leur vie commune y avait régulièrement fait allusion comme une menace voilée visant à le tenir à sa place, coupable assis dans un coin attendant silencieusement la sentence.
Je passais le plus clair de mon temps à me faire le plus transparent possible, me laissant aller parfois à quelques cavalcades et vacarmes, mais vite réprimé par des chuts… fermes, je reprenais alors mes errances désoeuvrées dans cette haute maison de ville de trois étages, n’osant pas m’aventurer dans le grand escalier sombre tout envahit d’ombres menaçantes et fantomatiques qui menait au niveaux supérieurs où se trouvait ma chambre. Je faisais alors semblant de jouer à chercher la tortue dans le minuscule jardin, seule activité que l’on m’encourageait vivement à faire : « Va au jardin,mon petit, reviens me dire si tu as vue la tortue…
Une autre personne semblait un peu à part dans cette maison soumis à un matriarcat de fer. C’était mon grand -père qui s’occupait je ne sais trop comment, muni d’une loupe et ruminant, marmonnant, soupirant des mots inintelligibles entre des collections de timbres, des vieilles coupures de presse, d’anciennes cartes postales. De temps en temps il me faisait asseoir près de lui, commentait des cartes postales sans signification pour moi, m’interrogant sur mes connaissances en histoire de France, les grades militaires, diverses choses auxquelles certains adultes essaient d’intéresser les enfants. Ainsi il était le seul à sembler me manifester quelque intérêt. Toujours ses questions en arrivaient à m’interroger sur la mer : Est-ce que je la connaissais ? Est-ce que je l’aimais ? Lui-même rêvait d’être marin lorsqu’il était enfant. Avais-je le même rêve moi aussi ? D’ailleurs, il avait fini par le réaliser. Et les rêves insistait-il, pouvaient se transformer en cauchemars lorsqu’ils se réalisaient. Il me disait cela avec une grande tristesse dans le regard et jamais ne me répondait lorsque je l’interrogeais plus avant.
Après son décès, je découvris par le plus grand des hasards qu’il avait fait naufrage durant sa courte carrière maritime, et qu’après avoir dérivés pendant des jours en pleine mer, lui et quelques rescapés de l’équipage s’étaient livrés au cannibalisme.
Cette expérience qui le hantait était restée secrète et très peu de gens en avait eu vent. Ma grand-mère était au courant et durant leur vie commune y avait régulièrement fait allusion comme une menace voilée visant à le tenir à sa place, coupable assis dans un coin attendant silencieusement la sentence.
mardi 20 octobre 2009
Et ma vie ne sera pas signifiante.
Un long cou, blanc, de cygne, qui attirait les baisers. Même grâce aérienne et des yeux ombrés à s'y noyer. Je lui avais dit d'ailleurs et ça lui avait fait faire la grimace.
Ne redis plus ça, les cygnes me dégoûtent. Je préfère les vilains petits canards. M'avait souri. Elle bougeait comme on glisse. Cheveux noirs légèrement brillants. Elle portait un médaillon en or blanc, gravé de lettres anglaises, serti de minuscules diamants. Héritage de son grand père. Elle était d'une nature ouverte et chaleureuse. Mon amoureuse. Toujours en blanc. Je me suis senti attiré. La première fois qu'elle a entrouvert ses lèvres, sa mâchoire s'est décrochée d'un coup, ma langue s'est engouffrée dans son palais iodé. Me suis senti chez moi, comme si je retrouvais ma maison dans ce mélange de salive. Dans les bras de Sibylle, ses longs bras qui m'enlaçait avec force, je faisais mon nid.
Envie qu'on ait un enfant. Elle n'est pas contre, mais l'année dernière, ne pouvait pas, venait d'avoir une promotion. Et cette année, pourquoi pas, mais elle préfére finir ses pilules, chaque chose en son temps.
Je cherche mes chaussettes dans le tiroir, ma main touche un objet rond et froid. Le médaillon. Les fredonnements de Sibylle me parviennent derrière le bruit de l'eau qui coule. J'appuie sur le cliquet du médaillon pour voir, clic, il ne se passe rien. Je recommence en mettant le bout de l'ongle de mon pouce, et j'appuie. Il ne s'ouvre pas. Elle sort de la douche dans son peignoir blanc, je le lui tends.
Qu'est ce qu'il y a dedans ?
Une photo.
Tu me la montres ?
Elle appuie à son tour sur le petit cliquet. La sueur glisse sur son front, les pointes de ses sourcils ébauchent un froncement.
Je n'arrive pas à l'ouvrir. C'est une antiquité.
Il me semble qu'elle n'a pas appuyé avec beaucoup d'énergie. Ni même un peu.
Passe-le-moi voir.
Me le tend lentement.
Je m'acharne un peu. Pas de déclic.
Une photo de qui ?
Un ancêtre. Une vieillerie. Oh, mais je suis en retard, s'exclame-t elle en retournant dans la salle de bain et en claquant la porte. Je connaissais son histoire, la disparition prématurée de son père à l'adolescence quand elle était en pension, son petit frère Côme parti au Japon, sa mère en maison de retraite. J'avais vu des albums de famille.
Le samedi, lèche-vitrines rue de Rivoli. On passe par le jardin des Tuileries. Je voudrais aller voir les petits bateaux en bois que les gamins vont voguer dans le bassin. Elle ne veut pas.
Alors comme ça mon cygne préféré n'aime pas l'eau ?
C'est parce que je ne sais pas nager.
Devant une boutique de Prada : regarde cette veste blanche, elle t'irait bien.
Très bien coupée, mais j'en ai marre du blanc. Tu savais qu'en Asie c'est la couleur du deuil ?
Devant un bijoutier, l’idée. Et par ailleurs, si je lui offrais un bijou, comme je n'ai jamais offert à aucune autre
Qu'est-ce qui te plairait ?
Elle contemple chacune des vitrines avec attention, me montre une bague or et diamant: celle-ci.
Ah, c'est une vraie bague de fiançailles, non je pensais à un collier peut être ? Une belle chaîne en or
Elle choisit un collier de perles de jade. Mon amoureuse ouvre délicatement le fermoir de sa chaîne au médaillon, le pose sur le comptoir, et passe le collier nacré autour de son cou blanc. Splendide. Doucement je pose la main sur le médaillon et le tends à la vendeuse:
il y a un petit problème avec ce médaillon, pouvez-vous décoincer le mécanisme.
Sibille me fixe écarquillant les yeux, une veine bleue apparaît au-dessus de sa clavicule. Elle se lève, flageolante et s'en va.
Attendez s'exclame la femme en me voyant prêt à lui courir après, le collier, c'est 650 euros.
Ma douce, mon amoureuse, je regrette, je ne sais pas ce qui m'a pris, reviens, j'ai ton médaillon, mais n'ai pas regardé, reviens, je ne supporte pas ton absence.
Un colissimo vient de m'être livré ce matin. Sibylle y a inscrit mon nom gracieusement, en mauve. Envie d'embrasser le carton. Je vais chercher le couteau japonais dans la cuisine, je le glisse dans le ruban, j'appuie, je carton s'ouvre, des épluchures de poires, des pots de yaourts légèrement moisis, des mégots, des kleenex usagés, de la farine, des coquilles d'oeuf, des petites billes noires laissant échapper des touches de lumières. J'en prends une, la gratte, c'est une perle du collier recouverte en partie d'encre de chine.Une tache noire sur mon pouce.
Ma tendre, ma douce, je m'en veux, pourrais-tu m'excuser, mais en attendant, donne-moi au moins une adresse où te renvoyer le médaillon. Je ne l'ai pas ouvert. Fais moi un signe et ma vie ne sera pas détruite.
Et depuis, enfermé, guettant le téléphone, le facteur. Un mail en Australie à son frère. Elle n'est plus à son travail. Aujourd'hui vais au BHV.
J'ai coincé le médaillon dans une pince, muni d'un tourne-vis d'horloger et d'une loupe grossissante je démonte les petites vis. Elles tombent sur le carrelage sans bruit. Le couvercle du médaillon se décale.Dedans une photo couleur un peu bleuie, d'une fillette brune, au long cou déjà, enserre de ses bras maigres un enfant joufflu aux yeux admiratifs. La fillette mime un sourire.
Le lendemain, un mail de Côme :
Je ne connais presque pas Sibylle, je n'ai jamais joué avec elle, mes parents nous en empêchaient. Elle avait eu une soeur, la mienne aussi donc, ma sœur que je l'ai n’ai pas connu. Sybille devait garder Isabelle pendant les vacances de février. On a retrouvé Isabelle, flottant dans le lac glacé et Sybille assise sur le bord. Muette, trempée, fiévreuse. Je suis né 9 mois plus tard. A la mort de papa en triant des vieux papiers, je suis tombé sur un rapport d'autopsie, ma soeur disparue avait eu des côtes brisés avant de se noyer.
Ne redis plus ça, les cygnes me dégoûtent. Je préfère les vilains petits canards. M'avait souri. Elle bougeait comme on glisse. Cheveux noirs légèrement brillants. Elle portait un médaillon en or blanc, gravé de lettres anglaises, serti de minuscules diamants. Héritage de son grand père. Elle était d'une nature ouverte et chaleureuse. Mon amoureuse. Toujours en blanc. Je me suis senti attiré. La première fois qu'elle a entrouvert ses lèvres, sa mâchoire s'est décrochée d'un coup, ma langue s'est engouffrée dans son palais iodé. Me suis senti chez moi, comme si je retrouvais ma maison dans ce mélange de salive. Dans les bras de Sibylle, ses longs bras qui m'enlaçait avec force, je faisais mon nid.
Envie qu'on ait un enfant. Elle n'est pas contre, mais l'année dernière, ne pouvait pas, venait d'avoir une promotion. Et cette année, pourquoi pas, mais elle préfére finir ses pilules, chaque chose en son temps.
Je cherche mes chaussettes dans le tiroir, ma main touche un objet rond et froid. Le médaillon. Les fredonnements de Sibylle me parviennent derrière le bruit de l'eau qui coule. J'appuie sur le cliquet du médaillon pour voir, clic, il ne se passe rien. Je recommence en mettant le bout de l'ongle de mon pouce, et j'appuie. Il ne s'ouvre pas. Elle sort de la douche dans son peignoir blanc, je le lui tends.
Qu'est ce qu'il y a dedans ?
Une photo.
Tu me la montres ?
Elle appuie à son tour sur le petit cliquet. La sueur glisse sur son front, les pointes de ses sourcils ébauchent un froncement.
Je n'arrive pas à l'ouvrir. C'est une antiquité.
Il me semble qu'elle n'a pas appuyé avec beaucoup d'énergie. Ni même un peu.
Passe-le-moi voir.
Me le tend lentement.
Je m'acharne un peu. Pas de déclic.
Une photo de qui ?
Un ancêtre. Une vieillerie. Oh, mais je suis en retard, s'exclame-t elle en retournant dans la salle de bain et en claquant la porte. Je connaissais son histoire, la disparition prématurée de son père à l'adolescence quand elle était en pension, son petit frère Côme parti au Japon, sa mère en maison de retraite. J'avais vu des albums de famille.
Le samedi, lèche-vitrines rue de Rivoli. On passe par le jardin des Tuileries. Je voudrais aller voir les petits bateaux en bois que les gamins vont voguer dans le bassin. Elle ne veut pas.
Alors comme ça mon cygne préféré n'aime pas l'eau ?
C'est parce que je ne sais pas nager.
Devant une boutique de Prada : regarde cette veste blanche, elle t'irait bien.
Très bien coupée, mais j'en ai marre du blanc. Tu savais qu'en Asie c'est la couleur du deuil ?
Devant un bijoutier, l’idée. Et par ailleurs, si je lui offrais un bijou, comme je n'ai jamais offert à aucune autre
Qu'est-ce qui te plairait ?
Elle contemple chacune des vitrines avec attention, me montre une bague or et diamant: celle-ci.
Ah, c'est une vraie bague de fiançailles, non je pensais à un collier peut être ? Une belle chaîne en or
Elle choisit un collier de perles de jade. Mon amoureuse ouvre délicatement le fermoir de sa chaîne au médaillon, le pose sur le comptoir, et passe le collier nacré autour de son cou blanc. Splendide. Doucement je pose la main sur le médaillon et le tends à la vendeuse:
il y a un petit problème avec ce médaillon, pouvez-vous décoincer le mécanisme.
Sibille me fixe écarquillant les yeux, une veine bleue apparaît au-dessus de sa clavicule. Elle se lève, flageolante et s'en va.
Attendez s'exclame la femme en me voyant prêt à lui courir après, le collier, c'est 650 euros.
Ma douce, mon amoureuse, je regrette, je ne sais pas ce qui m'a pris, reviens, j'ai ton médaillon, mais n'ai pas regardé, reviens, je ne supporte pas ton absence.
Un colissimo vient de m'être livré ce matin. Sibylle y a inscrit mon nom gracieusement, en mauve. Envie d'embrasser le carton. Je vais chercher le couteau japonais dans la cuisine, je le glisse dans le ruban, j'appuie, je carton s'ouvre, des épluchures de poires, des pots de yaourts légèrement moisis, des mégots, des kleenex usagés, de la farine, des coquilles d'oeuf, des petites billes noires laissant échapper des touches de lumières. J'en prends une, la gratte, c'est une perle du collier recouverte en partie d'encre de chine.Une tache noire sur mon pouce.
Ma tendre, ma douce, je m'en veux, pourrais-tu m'excuser, mais en attendant, donne-moi au moins une adresse où te renvoyer le médaillon. Je ne l'ai pas ouvert. Fais moi un signe et ma vie ne sera pas détruite.
Et depuis, enfermé, guettant le téléphone, le facteur. Un mail en Australie à son frère. Elle n'est plus à son travail. Aujourd'hui vais au BHV.
J'ai coincé le médaillon dans une pince, muni d'un tourne-vis d'horloger et d'une loupe grossissante je démonte les petites vis. Elles tombent sur le carrelage sans bruit. Le couvercle du médaillon se décale.Dedans une photo couleur un peu bleuie, d'une fillette brune, au long cou déjà, enserre de ses bras maigres un enfant joufflu aux yeux admiratifs. La fillette mime un sourire.
Le lendemain, un mail de Côme :
Je ne connais presque pas Sibylle, je n'ai jamais joué avec elle, mes parents nous en empêchaient. Elle avait eu une soeur, la mienne aussi donc, ma sœur que je l'ai n’ai pas connu. Sybille devait garder Isabelle pendant les vacances de février. On a retrouvé Isabelle, flottant dans le lac glacé et Sybille assise sur le bord. Muette, trempée, fiévreuse. Je suis né 9 mois plus tard. A la mort de papa en triant des vieux papiers, je suis tombé sur un rapport d'autopsie, ma soeur disparue avait eu des côtes brisés avant de se noyer.
mercredi 14 octobre 2009
C'est en proverbant qu'on devient verbe.
Amis du soir, miroir. Amis du matin, au bain.
C'est en forçant qu'on devient formidable.
À régner tard, brouillard. À régner le matin, mandrin.
C'est en flagellant qu'on devient flageolant.
C'est en s'amarrant qu'on devient ancre.
Tant va le coup de fil Allo qu'à la fin, on raccroche.
C'est en faux derchant qu'on devient Judas
C'est en se défaussant qu'on devient fossile
Tant va la ruche à l'abeille qu'à la fin elle miel.
C'est en buvant qu'on devient rond
Arrêt rer du soir, très tard. Arrêt du tram le matin, turbin.
C'est en forçant qu'on devient formidable.
À régner tard, brouillard. À régner le matin, mandrin.
C'est en flagellant qu'on devient flageolant.
C'est en s'amarrant qu'on devient ancre.
Tant va le coup de fil Allo qu'à la fin, on raccroche.
C'est en faux derchant qu'on devient Judas
C'est en se défaussant qu'on devient fossile
Tant va la ruche à l'abeille qu'à la fin elle miel.
C'est en buvant qu'on devient rond
Arrêt rer du soir, très tard. Arrêt du tram le matin, turbin.
jeudi 1 octobre 2009
Les Morbacks
LES MORBACKS
La rencontre
La sonnerie du téléphone interrompt la préparation d’un joint, je déteste rouler, heureusement depuis que je prends de la poudre je fume beaucoup moins, un truc positif. C’est Nadine, putain ce que j’avais été accroc à cette gonzesse mais impossible de croiser un mec sans qu’elle se le fasse, maintenant qu’elle est dans le cinéma j’imagine même pas...
- Salut Rico, j’ai un pote qui cherche un batteur pour passer au ″Caramel Bleu″ dans 15 jours, ça te branche ?
Elle en avait de bonne la blanche neige des squats, le ″Caramel Bleu″ l’endroit le plus branché de la capitale.
- Qu’est-ce qui fait comme zic ton pote ?
- Du punk super bien !
Elle a toujours été comme ça Nadine, un rien l’emballe.
- Ouais, tu sais moi je tripe plutôt Rock
- Ouais, ben justement BB le chanteur y dit que c’est du Punk Rock, génial non ?
- Et toi la vie ça va ?
- Couci-couça, en ce moment je fais un film avec BB c’est comme ça que je l’ai connu, il est super sympa !
Mon futur chanteur se tape mon ex, faut pas aller contre son destin.
- Ok je veux bien faire un essai
- Bouges pas, je te le passe
Où tu veux que j’aille bourrique ? Je l’adore.
- Salut !
- Salut !
Tout est dit.
- J’essaie des batteurs demain soir dans un garage à St Denis, ça te branche ?
- Ça peut se faire, à quelle heure ?
La rencontre
La sonnerie du téléphone interrompt la préparation d’un joint, je déteste rouler, heureusement depuis que je prends de la poudre je fume beaucoup moins, un truc positif. C’est Nadine, putain ce que j’avais été accroc à cette gonzesse mais impossible de croiser un mec sans qu’elle se le fasse, maintenant qu’elle est dans le cinéma j’imagine même pas...
- Salut Rico, j’ai un pote qui cherche un batteur pour passer au ″Caramel Bleu″ dans 15 jours, ça te branche ?
Elle en avait de bonne la blanche neige des squats, le ″Caramel Bleu″ l’endroit le plus branché de la capitale.
- Qu’est-ce qui fait comme zic ton pote ?
- Du punk super bien !
Elle a toujours été comme ça Nadine, un rien l’emballe.
- Ouais, tu sais moi je tripe plutôt Rock
- Ouais, ben justement BB le chanteur y dit que c’est du Punk Rock, génial non ?
- Et toi la vie ça va ?
- Couci-couça, en ce moment je fais un film avec BB c’est comme ça que je l’ai connu, il est super sympa !
Mon futur chanteur se tape mon ex, faut pas aller contre son destin.
- Ok je veux bien faire un essai
- Bouges pas, je te le passe
Où tu veux que j’aille bourrique ? Je l’adore.
- Salut !
- Salut !
Tout est dit.
- J’essaie des batteurs demain soir dans un garage à St Denis, ça te branche ?
- Ça peut se faire, à quelle heure ?
Le ″Caramel Bleu″
En fait de concert au ″Caramel Bleu″, on devait passer après les ″Mozart siliconés″, un test de trois, quatre morceaux pour voir si on assurait. Une semaine avant notre passage on va voir le patron histoire de discuter le coup et en boire un à l’œil. Ce con nous emmène dans les chiottes, style « nous seront plus tranquilles pour parler » et il nous demande de changer de nom, sa boite a un certain standing et ″Les Morbacks″ ça fait naze. Tu le crois toi ? Et là votre serviteur a été magistral, je lui réponds :
- Tu ne voudrais pas qu’on te fasse une pipe aussi ?
BB diplomate en rajoute une louchette.
- Dans trois mois tu nous supplieras à genoux pour qu’on vienne pisser dans sa boite.
Pas démonté le patron rigole doux amer et nous confirme pour la semaine suivante. Pour le verre de sky, on peut toujours aller voir chez Simone, elle fait des promos “spéciales pouillaves”.
Le fameux soir, les ″Mozart siliconés″ finissent leur concert, normal, à peine ont-ils posé leur matos qu’on s’installe à leur place, normal, Lise la copine de BB s’assoit sur le bord de la scène, toujours normal sauf que le bras droit du patron, une bite froide, lui demande d’aller poser son fessier ailleurs. Lise, petite blonde au visage de madone, faut pas la chauffer. Elle lui répond un truc qu’il n’a l’air pas l’air d’apprécier et là il fait une erreur, il la prend par le bras et la balance dans le public. BB tout en chantant se rapproche de l’inconscient et lui balance son manche de guitare dans la gueule, KO la crème de con. Pour ceux qui préfèrent la dentelle aux chaînes, passez direct au prochain épisode ou mieux arrêtez là. Sur la scène les amplis s’éteignent, les rideaux se ferment et les videurs déboulent de partout, une meute affamée, ça sent le carnage, notre bévue est de nous diriger vers les loges, un véritable enchevêtrement de petits couloirs. On court, on rigole, on flippe, derrière nous les pas lourds de la horde sauvage. Arrivés au bout de l’interminable labyrinthe, la loge semble minuscule, aucun passage secret, aucune issue, on est dans le film de la vraie vie. A peine a-t-on repris notre respiration que dans l’encoignure de la porte une tête de nabuchodonosor à barbe apparaît, BB prend son élan et lui décoche un pain digne du grand John Wayne, une sacrée paire de couilles mon nouveau poto. Sauf que le géant ne bronche pas, juste un frémissement et ensuite les éléments se déchaînent, pour ma part je ne me plains pas, celui qui s’occupe de moi se contente de me tenir par le cou à dix centimètres du sol, je regarde la scène avec de la hauteur. Je ne dirai pas la même chose de Syl qui se sert de sa basse comme un chevalier son épée, qu’a-t-il fait ou dit pour énerver à ce point son cerbère, l’autre l’attrape par les cheveux et le traîne dehors. Je cherche des yeux le gratteux mais ″Fa le corse″ a carrément disparu ! Ça commence à craindre sérieux quand la mère de BB se pointe en hurlant qu’on assassine son fils. BB est sauvé in extremis, les nabuchodonosors respectent les mères. Je me rappelle que nous nous sommes retrouvés devant la boite avec les videurs qui se foutaient de notre gueule. Cela ne nous a pas empêché d’y retourner la semaine suivante et d’y foutre la zone, le patron ne nous en a pas porté rigueur, on inaugurera sa futur boite ″Le palmier électrique″ quelques mois plus tard. Puis ce fut le temps des tournées.
Concert à Blois
Le concert va commencer dans 5 minutes et le Combos refuse de sortir une note. "Fa le Corse" se penche sur l’instrument et peste sur les nouvelles technologies numériques.
- Où sont passés nos bons vieux amplis à lampes ?
Moi, comme d’habitude je copine avec le trac en sirotant un whisky alors que BB raconte la vie. Les rayons lumineux au-dessus des portes clignotent, signe de notre imminente entrée sur scène. Ce soir est un peu spécial, nous jouons à Blois et toute la famille du côté de ma mère assiste au spectacle. Je les repère facilement au milieu des punks. J’entends ma mère leur faire l’article « il ne faut pas manquer le concert du petit, c’est absolument géééniaaal » Ils ne s’attendaient pas à se retrouver dans une arène où les taureaux ont des crêtes rouges. Tous ont répondu présents, la tante Lucette et la cousine Raymonde inséparables, Roger le patriarche en correspondance directe avec la guerre de 14 et une kyrielle de cousines et cousins affichant une moue dubitative aux frontières de l’étonnement et de l’anxiété. Bon c’est parti on se passera du Combos, "Fa le Corse" vient de l’achever à coups de Docs. Nos concerts ont une particularité quasi immuable, ils commencent à fond par notre célèbre morceau "Les Morbacks vous collent à la peau". Entre deux cymbales je vois Lucette et Raymonde qui se cramponnent l’une à l’autre telles deux naufragées sur une mer de voyous, Roger a carrément disparu du champ de bataille. Les punks, frustrés de n’avoir pu bouger pendant des heures, peut-être des jours, ne laissent aucune chance à leur voisinage, ils dévastent avec une redoutable efficacité chaque mètre carré de la salle. Entre deux roulements je maudis ma mère, pourquoi fallait-il qu’elle se mêle de ma vie ? Si il y a une couille, à tous les coups ça va être de ma faute ! J’aperçois Roger à la buvette en grande discussion avec le barman, ils se font des grands gestes d’un autre temps. La température monte d’un cran quand BB enlève sa chemise et entonne "A ça ira, ça ira, les aristocrates à la lanterne". Lucette a lâché Raymonde, elle apprend le po-go dans les bras d’un géant vert, je commence à avoir des crampes dans les poignets c’est toujours la même chose je pars trop vite et au milieu du concert je bloque, faudrait que je canalise mon énergie. Le concert se termine avec quelques éclopés mais la famille va bien, une bise et je vais me coucher demain on remet ça.
Epilogue
Ça vient du fond de mon ventre ! Mes bras viennent du fond de mon ventre. Mes deux bras frappent sans douceur et sans douleur, juste une sensation de crampe dans les poignets qui accompagnent le mouvement de mes bras. Mes poignets qui viennent du fond de mon ventre tapent, ricochent, s’envolent puis recommencent tels de frénétiques embryons désarticulés.
Greffés à mes poignets, des baguettes de bois claquent, rebondissent sur les peaux, elles donnent vie au tempo. Rapide ou lent, le tempo est régulier, silencieux il est toujours présent. La sueur coule sur mes bras, sur mes poignets, mes doigts cloquent et saignent quand que je lance les baguettes à l’assaut des hautes cymbales en cuivre. J’ai mal, chaque coup cogne mes os, ouvre mes chairs. La chaleur des projecteurs brûle ma peau. Ne pas ralentir, ne pas accélérer, garder le tempo, toujours le tempo. Ce tempo que vient du fond de mon ventre.
Et puis à travers la friche des amplis et des pieds de micros, dans une plongée de lumière pourpre, j’aperçois deux amoureux qui sourient, comme seuls les amoureux sourient. Deux amoureux qui viennent du fond de mon ventre.
à BB
mardi 29 septembre 2009
Un mur se dresse
Un mur se dresse, tu le franchis avec les muscles
Un grand espace, tu le parcours avec ton souffle
Un sentiment de grande puissance agace tes nerfs
Alors, ce qui arrive, c’est que tombent les nerfs
Et la fatigue, soudain, envahit tous les muscles
Et le cœur qui s’affole quand tu cherches ton souffle
Au loin, des chiens menacent, vite, vite un second souffle
La peur les accompagne, mais tu n’as plus de nerfs
Course après le courage, empoisonné les muscles
Un grand espace, tu le parcours avec ton souffle
Un sentiment de grande puissance agace tes nerfs
Alors, ce qui arrive, c’est que tombent les nerfs
Et la fatigue, soudain, envahit tous les muscles
Et le cœur qui s’affole quand tu cherches ton souffle
Au loin, des chiens menacent, vite, vite un second souffle
La peur les accompagne, mais tu n’as plus de nerfs
Course après le courage, empoisonné les muscles
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