Un long cou, blanc, de cygne, qui attirait les baisers. Même grâce aérienne et des yeux ombrés à s'y noyer. Je lui avais dit d'ailleurs et ça lui avait fait faire la grimace.
Ne redis plus ça, les cygnes me dégoûtent. Je préfère les vilains petits canards. M'avait souri. Elle bougeait comme on glisse. Cheveux noirs légèrement brillants. Elle portait un médaillon en or blanc, gravé de lettres anglaises, serti de minuscules diamants. Héritage de son grand père. Elle était d'une nature ouverte et chaleureuse. Mon amoureuse. Toujours en blanc. Je me suis senti attiré. La première fois qu'elle a entrouvert ses lèvres, sa mâchoire s'est décrochée d'un coup, ma langue s'est engouffrée dans son palais iodé. Me suis senti chez moi, comme si je retrouvais ma maison dans ce mélange de salive. Dans les bras de Sibylle, ses longs bras qui m'enlaçait avec force, je faisais mon nid.
Envie qu'on ait un enfant. Elle n'est pas contre, mais l'année dernière, ne pouvait pas, venait d'avoir une promotion. Et cette année, pourquoi pas, mais elle préfére finir ses pilules, chaque chose en son temps.
Je cherche mes chaussettes dans le tiroir, ma main touche un objet rond et froid. Le médaillon. Les fredonnements de Sibylle me parviennent derrière le bruit de l'eau qui coule. J'appuie sur le cliquet du médaillon pour voir, clic, il ne se passe rien. Je recommence en mettant le bout de l'ongle de mon pouce, et j'appuie. Il ne s'ouvre pas. Elle sort de la douche dans son peignoir blanc, je le lui tends.
Qu'est ce qu'il y a dedans ?
Une photo.
Tu me la montres ?
Elle appuie à son tour sur le petit cliquet. La sueur glisse sur son front, les pointes de ses sourcils ébauchent un froncement.
Je n'arrive pas à l'ouvrir. C'est une antiquité.
Il me semble qu'elle n'a pas appuyé avec beaucoup d'énergie. Ni même un peu.
Passe-le-moi voir.
Me le tend lentement.
Je m'acharne un peu. Pas de déclic.
Une photo de qui ?
Un ancêtre. Une vieillerie. Oh, mais je suis en retard, s'exclame-t elle en retournant dans la salle de bain et en claquant la porte. Je connaissais son histoire, la disparition prématurée de son père à l'adolescence quand elle était en pension, son petit frère Côme parti au Japon, sa mère en maison de retraite. J'avais vu des albums de famille.
Le samedi, lèche-vitrines rue de Rivoli. On passe par le jardin des Tuileries. Je voudrais aller voir les petits bateaux en bois que les gamins vont voguer dans le bassin. Elle ne veut pas.
Alors comme ça mon cygne préféré n'aime pas l'eau ?
C'est parce que je ne sais pas nager.
Devant une boutique de Prada : regarde cette veste blanche, elle t'irait bien.
Très bien coupée, mais j'en ai marre du blanc. Tu savais qu'en Asie c'est la couleur du deuil ?
Devant un bijoutier, l’idée. Et par ailleurs, si je lui offrais un bijou, comme je n'ai jamais offert à aucune autre
Qu'est-ce qui te plairait ?
Elle contemple chacune des vitrines avec attention, me montre une bague or et diamant: celle-ci.
Ah, c'est une vraie bague de fiançailles, non je pensais à un collier peut être ? Une belle chaîne en or
Elle choisit un collier de perles de jade. Mon amoureuse ouvre délicatement le fermoir de sa chaîne au médaillon, le pose sur le comptoir, et passe le collier nacré autour de son cou blanc. Splendide. Doucement je pose la main sur le médaillon et le tends à la vendeuse:
il y a un petit problème avec ce médaillon, pouvez-vous décoincer le mécanisme.
Sibille me fixe écarquillant les yeux, une veine bleue apparaît au-dessus de sa clavicule. Elle se lève, flageolante et s'en va.
Attendez s'exclame la femme en me voyant prêt à lui courir après, le collier, c'est 650 euros.
Ma douce, mon amoureuse, je regrette, je ne sais pas ce qui m'a pris, reviens, j'ai ton médaillon, mais n'ai pas regardé, reviens, je ne supporte pas ton absence.
Un colissimo vient de m'être livré ce matin. Sibylle y a inscrit mon nom gracieusement, en mauve. Envie d'embrasser le carton. Je vais chercher le couteau japonais dans la cuisine, je le glisse dans le ruban, j'appuie, je carton s'ouvre, des épluchures de poires, des pots de yaourts légèrement moisis, des mégots, des kleenex usagés, de la farine, des coquilles d'oeuf, des petites billes noires laissant échapper des touches de lumières. J'en prends une, la gratte, c'est une perle du collier recouverte en partie d'encre de chine.Une tache noire sur mon pouce.
Ma tendre, ma douce, je m'en veux, pourrais-tu m'excuser, mais en attendant, donne-moi au moins une adresse où te renvoyer le médaillon. Je ne l'ai pas ouvert. Fais moi un signe et ma vie ne sera pas détruite.
Et depuis, enfermé, guettant le téléphone, le facteur. Un mail en Australie à son frère. Elle n'est plus à son travail. Aujourd'hui vais au BHV.
J'ai coincé le médaillon dans une pince, muni d'un tourne-vis d'horloger et d'une loupe grossissante je démonte les petites vis. Elles tombent sur le carrelage sans bruit. Le couvercle du médaillon se décale.Dedans une photo couleur un peu bleuie, d'une fillette brune, au long cou déjà, enserre de ses bras maigres un enfant joufflu aux yeux admiratifs. La fillette mime un sourire.
Le lendemain, un mail de Côme :
Je ne connais presque pas Sibylle, je n'ai jamais joué avec elle, mes parents nous en empêchaient. Elle avait eu une soeur, la mienne aussi donc, ma sœur que je l'ai n’ai pas connu. Sybille devait garder Isabelle pendant les vacances de février. On a retrouvé Isabelle, flottant dans le lac glacé et Sybille assise sur le bord. Muette, trempée, fiévreuse. Je suis né 9 mois plus tard. A la mort de papa en triant des vieux papiers, je suis tombé sur un rapport d'autopsie, ma soeur disparue avait eu des côtes brisés avant de se noyer.
mardi 20 octobre 2009
mercredi 14 octobre 2009
C'est en proverbant qu'on devient verbe.
Amis du soir, miroir. Amis du matin, au bain.
C'est en forçant qu'on devient formidable.
À régner tard, brouillard. À régner le matin, mandrin.
C'est en flagellant qu'on devient flageolant.
C'est en s'amarrant qu'on devient ancre.
Tant va le coup de fil Allo qu'à la fin, on raccroche.
C'est en faux derchant qu'on devient Judas
C'est en se défaussant qu'on devient fossile
Tant va la ruche à l'abeille qu'à la fin elle miel.
C'est en buvant qu'on devient rond
Arrêt rer du soir, très tard. Arrêt du tram le matin, turbin.
C'est en forçant qu'on devient formidable.
À régner tard, brouillard. À régner le matin, mandrin.
C'est en flagellant qu'on devient flageolant.
C'est en s'amarrant qu'on devient ancre.
Tant va le coup de fil Allo qu'à la fin, on raccroche.
C'est en faux derchant qu'on devient Judas
C'est en se défaussant qu'on devient fossile
Tant va la ruche à l'abeille qu'à la fin elle miel.
C'est en buvant qu'on devient rond
Arrêt rer du soir, très tard. Arrêt du tram le matin, turbin.
jeudi 1 octobre 2009
Les Morbacks
LES MORBACKS
La rencontre
La sonnerie du téléphone interrompt la préparation d’un joint, je déteste rouler, heureusement depuis que je prends de la poudre je fume beaucoup moins, un truc positif. C’est Nadine, putain ce que j’avais été accroc à cette gonzesse mais impossible de croiser un mec sans qu’elle se le fasse, maintenant qu’elle est dans le cinéma j’imagine même pas...
- Salut Rico, j’ai un pote qui cherche un batteur pour passer au ″Caramel Bleu″ dans 15 jours, ça te branche ?
Elle en avait de bonne la blanche neige des squats, le ″Caramel Bleu″ l’endroit le plus branché de la capitale.
- Qu’est-ce qui fait comme zic ton pote ?
- Du punk super bien !
Elle a toujours été comme ça Nadine, un rien l’emballe.
- Ouais, tu sais moi je tripe plutôt Rock
- Ouais, ben justement BB le chanteur y dit que c’est du Punk Rock, génial non ?
- Et toi la vie ça va ?
- Couci-couça, en ce moment je fais un film avec BB c’est comme ça que je l’ai connu, il est super sympa !
Mon futur chanteur se tape mon ex, faut pas aller contre son destin.
- Ok je veux bien faire un essai
- Bouges pas, je te le passe
Où tu veux que j’aille bourrique ? Je l’adore.
- Salut !
- Salut !
Tout est dit.
- J’essaie des batteurs demain soir dans un garage à St Denis, ça te branche ?
- Ça peut se faire, à quelle heure ?
La rencontre
La sonnerie du téléphone interrompt la préparation d’un joint, je déteste rouler, heureusement depuis que je prends de la poudre je fume beaucoup moins, un truc positif. C’est Nadine, putain ce que j’avais été accroc à cette gonzesse mais impossible de croiser un mec sans qu’elle se le fasse, maintenant qu’elle est dans le cinéma j’imagine même pas...
- Salut Rico, j’ai un pote qui cherche un batteur pour passer au ″Caramel Bleu″ dans 15 jours, ça te branche ?
Elle en avait de bonne la blanche neige des squats, le ″Caramel Bleu″ l’endroit le plus branché de la capitale.
- Qu’est-ce qui fait comme zic ton pote ?
- Du punk super bien !
Elle a toujours été comme ça Nadine, un rien l’emballe.
- Ouais, tu sais moi je tripe plutôt Rock
- Ouais, ben justement BB le chanteur y dit que c’est du Punk Rock, génial non ?
- Et toi la vie ça va ?
- Couci-couça, en ce moment je fais un film avec BB c’est comme ça que je l’ai connu, il est super sympa !
Mon futur chanteur se tape mon ex, faut pas aller contre son destin.
- Ok je veux bien faire un essai
- Bouges pas, je te le passe
Où tu veux que j’aille bourrique ? Je l’adore.
- Salut !
- Salut !
Tout est dit.
- J’essaie des batteurs demain soir dans un garage à St Denis, ça te branche ?
- Ça peut se faire, à quelle heure ?
Le ″Caramel Bleu″
En fait de concert au ″Caramel Bleu″, on devait passer après les ″Mozart siliconés″, un test de trois, quatre morceaux pour voir si on assurait. Une semaine avant notre passage on va voir le patron histoire de discuter le coup et en boire un à l’œil. Ce con nous emmène dans les chiottes, style « nous seront plus tranquilles pour parler » et il nous demande de changer de nom, sa boite a un certain standing et ″Les Morbacks″ ça fait naze. Tu le crois toi ? Et là votre serviteur a été magistral, je lui réponds :
- Tu ne voudrais pas qu’on te fasse une pipe aussi ?
BB diplomate en rajoute une louchette.
- Dans trois mois tu nous supplieras à genoux pour qu’on vienne pisser dans sa boite.
Pas démonté le patron rigole doux amer et nous confirme pour la semaine suivante. Pour le verre de sky, on peut toujours aller voir chez Simone, elle fait des promos “spéciales pouillaves”.
Le fameux soir, les ″Mozart siliconés″ finissent leur concert, normal, à peine ont-ils posé leur matos qu’on s’installe à leur place, normal, Lise la copine de BB s’assoit sur le bord de la scène, toujours normal sauf que le bras droit du patron, une bite froide, lui demande d’aller poser son fessier ailleurs. Lise, petite blonde au visage de madone, faut pas la chauffer. Elle lui répond un truc qu’il n’a l’air pas l’air d’apprécier et là il fait une erreur, il la prend par le bras et la balance dans le public. BB tout en chantant se rapproche de l’inconscient et lui balance son manche de guitare dans la gueule, KO la crème de con. Pour ceux qui préfèrent la dentelle aux chaînes, passez direct au prochain épisode ou mieux arrêtez là. Sur la scène les amplis s’éteignent, les rideaux se ferment et les videurs déboulent de partout, une meute affamée, ça sent le carnage, notre bévue est de nous diriger vers les loges, un véritable enchevêtrement de petits couloirs. On court, on rigole, on flippe, derrière nous les pas lourds de la horde sauvage. Arrivés au bout de l’interminable labyrinthe, la loge semble minuscule, aucun passage secret, aucune issue, on est dans le film de la vraie vie. A peine a-t-on repris notre respiration que dans l’encoignure de la porte une tête de nabuchodonosor à barbe apparaît, BB prend son élan et lui décoche un pain digne du grand John Wayne, une sacrée paire de couilles mon nouveau poto. Sauf que le géant ne bronche pas, juste un frémissement et ensuite les éléments se déchaînent, pour ma part je ne me plains pas, celui qui s’occupe de moi se contente de me tenir par le cou à dix centimètres du sol, je regarde la scène avec de la hauteur. Je ne dirai pas la même chose de Syl qui se sert de sa basse comme un chevalier son épée, qu’a-t-il fait ou dit pour énerver à ce point son cerbère, l’autre l’attrape par les cheveux et le traîne dehors. Je cherche des yeux le gratteux mais ″Fa le corse″ a carrément disparu ! Ça commence à craindre sérieux quand la mère de BB se pointe en hurlant qu’on assassine son fils. BB est sauvé in extremis, les nabuchodonosors respectent les mères. Je me rappelle que nous nous sommes retrouvés devant la boite avec les videurs qui se foutaient de notre gueule. Cela ne nous a pas empêché d’y retourner la semaine suivante et d’y foutre la zone, le patron ne nous en a pas porté rigueur, on inaugurera sa futur boite ″Le palmier électrique″ quelques mois plus tard. Puis ce fut le temps des tournées.
Concert à Blois
Le concert va commencer dans 5 minutes et le Combos refuse de sortir une note. "Fa le Corse" se penche sur l’instrument et peste sur les nouvelles technologies numériques.
- Où sont passés nos bons vieux amplis à lampes ?
Moi, comme d’habitude je copine avec le trac en sirotant un whisky alors que BB raconte la vie. Les rayons lumineux au-dessus des portes clignotent, signe de notre imminente entrée sur scène. Ce soir est un peu spécial, nous jouons à Blois et toute la famille du côté de ma mère assiste au spectacle. Je les repère facilement au milieu des punks. J’entends ma mère leur faire l’article « il ne faut pas manquer le concert du petit, c’est absolument géééniaaal » Ils ne s’attendaient pas à se retrouver dans une arène où les taureaux ont des crêtes rouges. Tous ont répondu présents, la tante Lucette et la cousine Raymonde inséparables, Roger le patriarche en correspondance directe avec la guerre de 14 et une kyrielle de cousines et cousins affichant une moue dubitative aux frontières de l’étonnement et de l’anxiété. Bon c’est parti on se passera du Combos, "Fa le Corse" vient de l’achever à coups de Docs. Nos concerts ont une particularité quasi immuable, ils commencent à fond par notre célèbre morceau "Les Morbacks vous collent à la peau". Entre deux cymbales je vois Lucette et Raymonde qui se cramponnent l’une à l’autre telles deux naufragées sur une mer de voyous, Roger a carrément disparu du champ de bataille. Les punks, frustrés de n’avoir pu bouger pendant des heures, peut-être des jours, ne laissent aucune chance à leur voisinage, ils dévastent avec une redoutable efficacité chaque mètre carré de la salle. Entre deux roulements je maudis ma mère, pourquoi fallait-il qu’elle se mêle de ma vie ? Si il y a une couille, à tous les coups ça va être de ma faute ! J’aperçois Roger à la buvette en grande discussion avec le barman, ils se font des grands gestes d’un autre temps. La température monte d’un cran quand BB enlève sa chemise et entonne "A ça ira, ça ira, les aristocrates à la lanterne". Lucette a lâché Raymonde, elle apprend le po-go dans les bras d’un géant vert, je commence à avoir des crampes dans les poignets c’est toujours la même chose je pars trop vite et au milieu du concert je bloque, faudrait que je canalise mon énergie. Le concert se termine avec quelques éclopés mais la famille va bien, une bise et je vais me coucher demain on remet ça.
Epilogue
Ça vient du fond de mon ventre ! Mes bras viennent du fond de mon ventre. Mes deux bras frappent sans douceur et sans douleur, juste une sensation de crampe dans les poignets qui accompagnent le mouvement de mes bras. Mes poignets qui viennent du fond de mon ventre tapent, ricochent, s’envolent puis recommencent tels de frénétiques embryons désarticulés.
Greffés à mes poignets, des baguettes de bois claquent, rebondissent sur les peaux, elles donnent vie au tempo. Rapide ou lent, le tempo est régulier, silencieux il est toujours présent. La sueur coule sur mes bras, sur mes poignets, mes doigts cloquent et saignent quand que je lance les baguettes à l’assaut des hautes cymbales en cuivre. J’ai mal, chaque coup cogne mes os, ouvre mes chairs. La chaleur des projecteurs brûle ma peau. Ne pas ralentir, ne pas accélérer, garder le tempo, toujours le tempo. Ce tempo que vient du fond de mon ventre.
Et puis à travers la friche des amplis et des pieds de micros, dans une plongée de lumière pourpre, j’aperçois deux amoureux qui sourient, comme seuls les amoureux sourient. Deux amoureux qui viennent du fond de mon ventre.
à BB
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