mardi 20 octobre 2009

Et ma vie ne sera pas signifiante.

Un long cou, blanc, de cygne, qui attirait les baisers. Même grâce aérienne et des yeux ombrés à s'y noyer. Je lui avais dit d'ailleurs et ça lui avait fait faire la grimace.
Ne redis plus ça, les cygnes me dégoûtent. Je préfère les vilains petits canards. M'avait souri. Elle bougeait comme on glisse. Cheveux noirs légèrement brillants. Elle portait un médaillon en or blanc, gravé de lettres anglaises, serti de minuscules diamants. Héritage de son grand père. Elle était d'une nature ouverte et chaleureuse. Mon amoureuse. Toujours en blanc. Je me suis senti attiré. La première fois qu'elle a entrouvert ses lèvres, sa mâchoire s'est décrochée d'un coup, ma langue s'est engouffrée dans son palais iodé. Me suis senti chez moi, comme si je retrouvais ma maison dans ce mélange de salive. Dans les bras de Sibylle, ses longs bras qui m'enlaçait avec force, je faisais mon nid.

Envie qu'on ait un enfant. Elle n'est pas contre, mais l'année dernière, ne pouvait pas, venait d'avoir une promotion. Et cette année, pourquoi pas, mais elle préfére finir ses pilules, chaque chose en son temps.
Je cherche mes chaussettes dans le tiroir, ma main touche un objet rond et froid. Le médaillon. Les fredonnements de Sibylle me parviennent derrière le bruit de l'eau qui coule. J'appuie sur le cliquet du médaillon pour voir, clic, il ne se passe rien. Je recommence en mettant le bout de l'ongle de mon pouce, et j'appuie. Il ne s'ouvre pas. Elle sort de la douche dans son peignoir blanc, je le lui tends.
Qu'est ce qu'il y a dedans ?
Une photo.
Tu me la montres ?
Elle appuie à son tour sur le petit cliquet. La sueur glisse sur son front, les pointes de ses sourcils ébauchent un froncement.
Je n'arrive pas à l'ouvrir. C'est une antiquité.
Il me semble qu'elle n'a pas appuyé avec beaucoup d'énergie. Ni même un peu.
Passe-le-moi voir.
Me le tend lentement.
Je m'acharne un peu. Pas de déclic.
Une photo de qui ?
Un ancêtre. Une vieillerie. Oh, mais je suis en retard, s'exclame-t elle en retournant dans la salle de bain et en claquant la porte. Je connaissais son histoire, la disparition prématurée de son père à l'adolescence quand elle était en pension, son petit frère Côme parti au Japon, sa mère en maison de retraite. J'avais vu des albums de famille.
Le samedi, lèche-vitrines rue de Rivoli. On passe par le jardin des Tuileries. Je voudrais aller voir les petits bateaux en bois que les gamins vont voguer dans le bassin. Elle ne veut pas.
Alors comme ça mon cygne préféré n'aime pas l'eau ?
C'est parce que je ne sais pas nager.
Devant une boutique de Prada : regarde cette veste blanche, elle t'irait bien.
Très bien coupée, mais j'en ai marre du blanc. Tu savais qu'en Asie c'est la couleur du deuil ?
Devant un bijoutier, l’idée. Et par ailleurs, si je lui offrais un bijou, comme je n'ai jamais offert à aucune autre
Qu'est-ce qui te plairait ?
Elle contemple chacune des vitrines avec attention, me montre une bague or et diamant: celle-ci.
Ah, c'est une vraie bague de fiançailles, non je pensais à un collier peut être ? Une belle chaîne en or
Elle choisit un collier de perles de jade. Mon amoureuse ouvre délicatement le fermoir de sa chaîne au médaillon, le pose sur le comptoir, et passe le collier nacré autour de son cou blanc. Splendide. Doucement je pose la main sur le médaillon et le tends à la vendeuse:
il y a un petit problème avec ce médaillon, pouvez-vous décoincer le mécanisme.
Sibille me fixe écarquillant les yeux, une veine bleue apparaît au-dessus de sa clavicule. Elle se lève, flageolante et s'en va.
Attendez s'exclame la femme en me voyant prêt à lui courir après, le collier, c'est 650 euros.

Ma douce, mon amoureuse, je regrette, je ne sais pas ce qui m'a pris, reviens, j'ai ton médaillon, mais n'ai pas regardé, reviens, je ne supporte pas ton absence.

Un colissimo vient de m'être livré ce matin. Sibylle y a inscrit mon nom gracieusement, en mauve. Envie d'embrasser le carton. Je vais chercher le couteau japonais dans la cuisine, je le glisse dans le ruban, j'appuie, je carton s'ouvre, des épluchures de poires, des pots de yaourts légèrement moisis, des mégots, des kleenex usagés, de la farine, des coquilles d'oeuf, des petites billes noires laissant échapper des touches de lumières. J'en prends une, la gratte, c'est une perle du collier recouverte en partie d'encre de chine.Une tache noire sur mon pouce.

Ma tendre, ma douce, je m'en veux, pourrais-tu m'excuser, mais en attendant, donne-moi au moins une adresse où te renvoyer le médaillon. Je ne l'ai pas ouvert. Fais moi un signe et ma vie ne sera pas détruite.

Et depuis, enfermé, guettant le téléphone, le facteur. Un mail en Australie à son frère. Elle n'est plus à son travail. Aujourd'hui vais au BHV.

J'ai coincé le médaillon dans une pince, muni d'un tourne-vis d'horloger et d'une loupe grossissante je démonte les petites vis. Elles tombent sur le carrelage sans bruit. Le couvercle du médaillon se décale.Dedans une photo couleur un peu bleuie, d'une fillette brune, au long cou déjà, enserre de ses bras maigres un enfant joufflu aux yeux admiratifs. La fillette mime un sourire.

Le lendemain, un mail de Côme :
Je ne connais presque pas Sibylle, je n'ai jamais joué avec elle, mes parents nous en empêchaient. Elle avait eu une soeur, la mienne aussi donc, ma sœur que je l'ai n’ai pas connu. Sybille devait garder Isabelle pendant les vacances de février. On a retrouvé Isabelle, flottant dans le lac glacé et Sybille assise sur le bord. Muette, trempée, fiévreuse. Je suis né 9 mois plus tard. A la mort de papa en triant des vieux papiers, je suis tombé sur un rapport d'autopsie, ma soeur disparue avait eu des côtes brisés avant de se noyer.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire