C’était l’année de mes 10 ans. J’étais en vacances quelques jours chez mes grands-parents paternels durant les congés de Pâques. Comme tous les ans, à cette époque, mes parents ne savaient pas quoi faire de moi, eux travaillant et moi réfractaire aux colonies de vacances où j’allais déjà deux fois par an, il n’y avait que cette solution. J’allais donc passer une semaine à Périgueux dans la grande maison bourgeoise de mes aïeux, où je resterais enfermer entre le tic-tac de l’horloge, les quelques mots échangés à voix basse entre ma grand-mère et ma tante, les parties de belotte quotidienne avec le vieux M. Lafage, la préparation des repas. Autant d’activités mystérieuses précédées de conciliabules à mi-voix et sujet à de longues préparations. Le rythme triste de ces journées de vieux était régulièrement ponctué de sorties ennuyeuses à pas comptés dans les rues mornes de cette ville provinciale où il ne semblait y avoir que des allées de platanes et des Places de Cathédrale. Pendant ces quelques jours, je me laissais alors endormir, comme figé dans une posture gracieuse d’enfant obéissant et pas trop remuant, distrayant tout en étant discret, m’ennuyant ferme sans trop en avoir l’air, peut-être même sans réellement m’en rendre compte, croyant, peut-être à raison, que c’était l’ordinaire des enfants de mon age en vacances chez Grand-Papa et Grand- Maman.
Je passais le plus clair de mon temps à me faire le plus transparent possible, me laissant aller parfois à quelques cavalcades et vacarmes, mais vite réprimé par des chuts… fermes, je reprenais alors mes errances désoeuvrées dans cette haute maison de ville de trois étages, n’osant pas m’aventurer dans le grand escalier sombre tout envahit d’ombres menaçantes et fantomatiques qui menait au niveaux supérieurs où se trouvait ma chambre. Je faisais alors semblant de jouer à chercher la tortue dans le minuscule jardin, seule activité que l’on m’encourageait vivement à faire : « Va au jardin,mon petit, reviens me dire si tu as vue la tortue…
Une autre personne semblait un peu à part dans cette maison soumis à un matriarcat de fer. C’était mon grand -père qui s’occupait je ne sais trop comment, muni d’une loupe et ruminant, marmonnant, soupirant des mots inintelligibles entre des collections de timbres, des vieilles coupures de presse, d’anciennes cartes postales. De temps en temps il me faisait asseoir près de lui, commentait des cartes postales sans signification pour moi, m’interrogant sur mes connaissances en histoire de France, les grades militaires, diverses choses auxquelles certains adultes essaient d’intéresser les enfants. Ainsi il était le seul à sembler me manifester quelque intérêt. Toujours ses questions en arrivaient à m’interroger sur la mer : Est-ce que je la connaissais ? Est-ce que je l’aimais ? Lui-même rêvait d’être marin lorsqu’il était enfant. Avais-je le même rêve moi aussi ? D’ailleurs, il avait fini par le réaliser. Et les rêves insistait-il, pouvaient se transformer en cauchemars lorsqu’ils se réalisaient. Il me disait cela avec une grande tristesse dans le regard et jamais ne me répondait lorsque je l’interrogeais plus avant.
Après son décès, je découvris par le plus grand des hasards qu’il avait fait naufrage durant sa courte carrière maritime, et qu’après avoir dérivés pendant des jours en pleine mer, lui et quelques rescapés de l’équipage s’étaient livrés au cannibalisme.
Cette expérience qui le hantait était restée secrète et très peu de gens en avait eu vent. Ma grand-mère était au courant et durant leur vie commune y avait régulièrement fait allusion comme une menace voilée visant à le tenir à sa place, coupable assis dans un coin attendant silencieusement la sentence.
mercredi 11 novembre 2009
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)

Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire